mercredi 28 août 2013

Strict art


Strict art [Article à continuer]




Depuis 2008, conjointement aux différents ouvrages d’éditeurs majeurs américains et européens, puis, dans leurs éditions françaises, dès 2010, comme : Trespass : une histoire de l’art urbain illicite édité par Phaïdon, L’art urbain : Du graffiti au street art par Gallimard, et Street art et graffiti édité par Thames&Hudson, nous assistons sous nos yeux à une relecture par raccourcis du XXe siècle artistique. De la prise en compte de certaines pratiques des années 2000 à 2010, à la visible et très consciente construction intellectuelle qui prend en charge notre réception critique.

La décennie se réfléchie et c’est bien normal. Mais regardons comment ouvrages papiers, sites culturels et autres médias, recensent assidument les productions et expressions de l’espace urbain mondialisé et tentent de les comprendre en tant que pratique artistique directement et absolument liée à l’histoire de l’art. Se propage alors le terme ‘Street art’ comme nous connaissons le Pop art, le Land Art, l’Op art, .... Dans les musées français, il est donc maintenant d’usage d’assister à des programmations de conférences qui se fondent sur les peintures murales des grottes préhistoriques et qui se concluent sur les propositions de Banksy, le tout dans une logique historiée, renseignée, ré-écrivant des liens d’évidence et validant toutes présences graphiques. De Brassaï à Jean-Michel Basquiat, puis de Gordon Matta-Clark à Rero, d’Andy Warhol à Shepard Fairey. Ils s’ouvrent, à Londres comme à Paris, florissantes expositions sur l’art urbain, dans les mêmes espaces que ceux du marché de l’art contemporain. Échanges de bons territoires. Le constat est la diffusion de l’idée d’un art urbain occupant la scène artistique mondiale et se promotionnant dans les médias les plus fréquentés.

Mainstream.

Les productions relevant d’une pratique dite urbaine étaient déjà présentes dans nos paysages bien avant les années 2000. Certains travaillent depuis les premiers instants à la reconnaissance et à la diffusion d’une culture artistique qui s’origine à partir par exemple du riding, du surfing, du biking et bien sûr du skating, et qui se formalise dans une mode, un graphisme, une musique …Aux Etats-Unis, ces pratiques sont désignées comme alternatives,  phénomènes de la contre-culture et se révèlent à la fin des années 70, début des années 80.   De retour dans les années 90, le street skating se pratique comme l’inscription de l’individu navigant par ses propres règles, face à la construction globale. Ces pratiques se déroulent à la fois dans l’espace public et à la fois de façon plutôt retirée, inattendue dans des lieux inoccupés ou désaffectés. Et justement comme le signal lancé au système global d’être « à côté ».
Regardons comment dans un premier temps, l’on associe une pratique alternative, éphémère et volontairement réalisée ‘à côté/non cotée’, née sur les parois des murs et des flancs des métros new-yorkais au début des années 70, à une pratique artistique. Puis, quelques années plus tard, on l’a retrouve mise en capital et en galerie, le tout pour servir un marché d’intérêt privé. Ce qui a été crée en dehors et contre l’art ‘officiel’ se retrouve à présent convoqué comme articulation et chainon manquant de l’histoire de l’art.



De la confusion. Est désignée actuellement « Street art » une toute nouvelle génération d’altermondialistes.

Est-ce un processus inexorable ?  Ce qui tend à fuir un système se retrouve forcément ré-englobé. Oui, être contre revient toujours à inclure le référent à fuir. Oui, tant que le principe de création n’est pas réellement ailleurs.
L’action intuitive devient objet matériel, qui avec le temps se fétichise : 2012, il est possible d’acheter la porte graffitée du studio de Keith Haring ou une veste en cuir qu’il avait signée au marqueur. Dérives déjà connues, relevant du marché, mais à la fois comme épiphénomènes pour l’histoire de l’art …
Se retrouvent alors rassemblés au même titre, des œuvres matériellement et esthétiquement très différentes, des artistes/auteurs qui n’agissent pas pour les mêmes raisons, avec des protocoles et des mises en œuvre parfois strictement opposés. Ce qui porte à confusion est ce mélange des genres qui impose la corrélation formelle simplifiée entre des objets qui ne se rencontrent pas.
L’idée de street art, telle qu’elle est présentée, convoque ouvertement la pluralité des moyens, des techniques et des ambitions. Des signatures d’anonymes (ou dans un premier temps confidentielles) se diluent dans l’espace public, quelles soient graphiques, photographiques, sérigraphiques, sculpturales ou performatives, réalisées spontanément ou préparées en atelier.
De la nouvelle « peinture » de plein air en somme. Pour signifier une double inadéquation : celle d’un bâti déshumanisant et celle d’un art sans convention ni promotion bourgeoise. Mais n’y a t-il pas méconnaissance et caricature de ce que peut être l’art de la part des artistes dits « urbains » ? Ainsi ne pas confondre l’objet de l’art avec sa médiatisation (ou ce qui se transforme sous l’influence des politiques culturelles officielles) Parce que la construction de pensée à l’intérieur de l’oeuvre d’un artiste qui mène sa recherche n’a rien à voir avec la projection que l’on s’en fait lorsque l’on est complètement nourris et gavés par les volontés de médiations de l’art organisées dans les institutions. Ne pas se tromper d’objet.
L’art est une représentation de la réalité, son objet est forcément un objet intellectuel. Il agit comme le fait un symbole et que nous sommes amenés à déchiffrer, et ce, dans la même continuité de notre propre découverte du monde et de sa réalité. Nous ne connaissons notre monde que parce que nous apprenons et que nous décodons, nous ne faisons que découvrir notre monde. La vision de l’objet ne nous permet pas une immédiate reconnaissance parce qu’il est travaillé (et pas forcément travaillé dans son sens matériel). Il est plus ou moins ardu, il s’apprivoise et se redécouvre sans cesse au fur et à mesure du temps qui passe, de génération en génération.
Alors ce qui apparaît aujourd’hui autour des arts urbains est aussi la volonté politique et culturelle du moment. Si cet art advient aujourd’hui aussi en France, c’est qu’il existe aussi une volonté plus générale de marier des territoires, de valoriser et de moraliser des actions et de rendre valide et probant le travail social et éducatif mené dans les villes depuis 40 ans. Un travail des politiques pour résister et apaiser la violence de quelques individualités vues comme les brebis égarées du système et pour faire acte d’intégration.  Approuver et mettre en lumière des créations graphiques et penser à une forme de « reliance », d’apaisement et de dialogue social.
C’est comme se glorifier de voir, ceux qui s’écriaient et lançaient des pierres, s’occuper désormais à dessiner et à parer les murs des bâtiments déchus…se conformer et accepter le  compromis, ou autrement dit : « Comme accorder un atelier municipal à Miss Tick parcequ’on ne lui permet pas d’altérer les murs du centre ville ? » De l’intégration…


Le prélèvement du passé pour construire et valider un mouvement artistique se pratique allègrement. « Dans la lignée de Buren ou de Christo, le travail de JR questionne la limite de la ville. »[1] Pourquoi regarder les divergences lorsqu’une idée toute simple et positive réunit si bien ?  
La reconnaissance artistique n’est pas moralement condamnable, et pour un artiste être une valeur marchande est une conséquence parmi d’autres. Être issu d’un milieu populaire n’interdit pas l’artiste de se frotter à la communauté scientifique et intellectuelle, surtout s’il souhaite s’en soustraire consciemment et volontairement. Il importe ensuite pour l’historien d’art de regarder et de conserver les objets pour ce qu’ils apportent, ce qu’ils interrogent et mettent en jeu.  Cependant l’on peut se demander qui fabrique cet art urbain, pour quelle destination ; et en même temps qui l’achète et le promotionne. Un peu comme l’on achète de l’art contemporain pour être à la mode, acheter un artiste urbain passe pour le dernier délice d’initiés. Penser que l’art urbain n’est pas à but lucratif est de la désinformation et, que les acheteurs et les acteurs de l’art contemporain ne s’ébahissent que devant des œuvres de la masturbation intellectuelle, d’une grande naïveté. Tentons d’évacuer les caricatures.

Évidemment, toute pratique, comme toute personne, peut se transformer, renoncer aux premières directions, réactiver d’anciennes pensées, enlever de sa substance ou ajouter des éléments extérieurs, pour toujours remettre en question sa consistance et sa pertinence. Les acteurs changent, les nouvelles générations apportent leurs contradictions qui reconditionnent les actes premiers. Et il serait facile de dénoncer l’opportunisme, la récupération avide, la malhonnêteté intellectuelle. L’histoire se construit aussi en différé et, est question d’interprétation. Si les théoriciens et critiques n’avaient pas mis à jour l’œuvre de Marcel Duchamp (1887-1968) dès 1973, avec l’exposition rétrospective de son travail au Musée de Philadelphie et au Musée d'art moderne de New York), le paysage artistique ne serait pas le même. Il est nécessaire d’écrire sur l’art, de l’interpréter, de le lire et de le relire, de le reconstruire, pour qu’il prenne une plus grande place ou au plus juste.

Pourtant quel est cet objet auquel ces écrits, ces conférences et ces expositions se rapportent et auquel les médias veulent faire la place ?


« Cette culture qui plait à tout le monde » ou « la culture de marché » selon Frédéric Martel[2].


Qu’en est-il de cette esthétique altermondialiste, de ces figures humaines représentées sur des maxi-formats, de ces signatures faites d’accumulations colorées qui re-décorent les places et les bâtiments des centres-villes ?
À l’heure du partage et de l’échange gratuit sur les réseaux sociaux, les revendications esthétiques, et donc politiques, qui autrefois animaient les créateurs, ont été remplacées par le prétexte d’un immense concours photographique. En 2012, à Rio, à Berlin, à Beyrouth, il est possible de trouver ces interventions comme prêtes à être capturées et comme dans une surenchère, il s’invente des points de vues spectaculaires. Les ouvrages du street art parlent d’un phénomène mondial et des Globe painters.


Mélanger, comme dans les ouvrages grand public, le territoire alternatif de la culture urbaine avec les artistes phares de l’histoire de l’art qui opèrent sur d’autres territoires c’est d’emblée ne pas s’assurer de la grande qualité des réflexions critiques mais d’une diffusion majeure et d’une promotion pour le plus grand nombre.

La reconnaissance du public est  intéressante et tout à fait valorisante pour un artiste mais elle se contente trop souvent d’être une affaire de goût. Non pas que la subjectivité altère à la réception de l’objet d’art mais elle le soumet aux courants, aux flux de la mode et du goût, façonnés et manipulés par des entités au fort pouvoir économique.
Le graphisme de rue est distrayant certes. Il ressemble au commentaire malin que l’on a sous la langue. Il se vit plutôt bien dans nos villes, il est demandé sous les préaux des écoles, nous le retrouvons sur les murs des chambres, et il est complètement assimilé et acclimaté. Et à la fois, il en ressort totalement désengagé, et seulement relevant d’une forme de prouesse technique, qualité très classique au demeurant, convenue comme seul critère d’appréciation d’un art de tradition…

 [Article à continuer...]



[1] « Art urbain », article Wikipédia, lu en janvier 2013
[2] Frédéric Martel, Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde. Paris, Flammarion, coll. Essais, 2010, p.12.













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